Monsieur le Premier Ministre,
Dans
quelques semaines, le parlement devra légiférer en vue d’instituer un système
universel de retraite. Face à la nécessité de rééquilibrer financièrement notre régime actuel, la
droite parlementaire n’a cessé de proposer une réforme des retraites qui
assure la pérennité de notre régime par répartition et qui met fin, en douze
ans, aux régimes spéciaux.
Cette
réforme est d’autant plus nécessaire que le déficit de notre système actuel
pourrait atteindre 17 milliards d’euros en 2025, soit une dette annuelle de 1
200€ par retraité. Dans un tel contexte, notre inaction collective conduirait
nécessairement à une baisse des pensions ou à une hausse des cotisations – ce à
quoi nous nous refusons.
Dans une lettre en date du 11 janvier 2020 aux
partenaires sociaux, vous faisiez vôtre cette inquiétude et affirmiez
« que le système de retraite devait être financé pour que les
assurés, notamment les plus jeunes, retrouvent confiance » en lui. Ce risque
financier nous engage collectivement et mérite que nous prenions –
gouvernement, partenaires sociaux et oppositions – nos responsabilités.
Dans quelques jours, la conférence de financement, présidée
par Jean-Jacques Marette, s’ouvrira aux partenaires sociaux. Alors que ses
conclusions ne seront pas encore rendues, vous demanderez à l’Assemblée
nationale d’étudier la réforme des retraites. Monsieur le Premier Ministre,
notre démocratie ne peut se résoudre de voir le mois prochain, d’un côté son
parlement légiférer sur un texte non financé et de l’autre ses partenaires sociaux
discuter d’un financement sur un texte amendé de jour en jour.
En
effet, la réforme systémique que vous nous proposez aura un impact financier
sans précédent : notre régime de retraite représente 25% de la dépense
publique et près de 30% des prélèvements obligatoires des Français, soit 321
milliards d’euro ou 14% du PIB.
En
exigeant des députés de légiférer avant les conclusions de la
conférence présidée par Jean-Jacques Marette, vous nous proposez d’instituer un
système universel de retraite sans connaître son équilibre financier. Quelle
assemblée moderne accepterait de voter des dépenses sans pouvoir se prononcer
sur les recettes ? Pour avoir siégé sur nos bancs, vous connaissez les
droits du Parlement. Demander aux députés de se prononcer sur un projet de loi
d’une telle ampleur sans connaître son financement serait inédit, affaiblirait
nécessairement le débat public et serait contraire à l’intérêt des Français.
Pour avoir un débat serein et garantir la qualité du travail parlementaire, la
procédure législative globale doit être sincère, lisible et exhaustive.
Dans l’intérêt général, le climat actuel vous interdit qu’à
la crise sociale succède une crise parlementaire ou même une crise
démocratique. Car, au-delà du respect de nos institutions,
il existe un droit pour tous les citoyens de constater, par eux-mêmes ou par
leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, inscrit à
l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce droit
constitutionnel pourrait-il être méprisé après deux longues années de
concertation et plus de quarante jours de grève ?
Dès lors, et conscients de l’urgence à réformer notre système
de retraite, nous vous écrivons afin de vous proposer une méthode « de
dialogue et de collégialité », méthode que vous défendiez, devant nous,
lors de votre discours de politique générale.
Afin
que nos concitoyens puissent être informés de manière éclairée et que les
droits du parlement soient respectés, nous demandons que la conférence de
financement rende ses travaux avant le début de la discussion dans l’hémicycle
de l’Assemblée nationale, soit le 17 février prochain. Ces conclusions devront
alors être intégrées à la discussion parlementaire de manière à pouvoir
débattre d’un projet de loi complet et non pas amputé de l’intégralité de son
volet financement.
La
proposition que nous formulons ne conduit en aucun cas à retarder le calendrier
parlementaire. Elle participe au vœu, que vous formuliez le 11 janvier dernier,
de permettre à la « démocratie sociale et
la démocratie politique de se renforcer plutôt que de s’opposer ». Elle
nécessite que la concertation avec les partenaires sociaux ne dure pas plus que
nécessaire afin que la discussion parlementaire puisse bénéficier de ses
conclusions.
Dans
un esprit de responsabilité, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier
Ministre, l’expression de notre sincère considération.
Damien ABAD